C’est l’alarme du portable qui me tire de mon sommeil. Il est tout juste 6h, et la journée va être longue.
Je m’extirpe douloureusement des couvertures chaudes, attrape un t-shirt de sous le lit, et me lève en traînant les pieds sur le parquet glacé.
Charles et Audrey sont déjà à table, une tasse de café fumant à la main. Je n’ai jamais été matinal, sauf après 14 heures. J’attrape une tartine de pain grillé, le noie sous une couche de beurre salé et croque dedans sans appétit. Je quitte Montréal dans moins d’une heure, et pour le moment je n’ai qu’une envie : dormir.
A chaque départ c’est la même chose : boucler le sac à dos, vérifier qu’on n’oublie pas son passeport ou un chargeur électrique, refaire trois fois le tour de la chambre pour s’en assurer parce qu’on est parano, et enfin franchir le seuil de la porte et s’engouffrer dans une matinée froide et moite.
J’ai une petite boule au ventre au moment de tourner à gauche, sur le boulevard qui mène au métro. J’avais commencé à m’habituer à cet appartement en sous-sol, très peu lumineux certes, mais bien équipé, chaleureux, et où je commençais à prendre mes marques.
Le plus difficile à gérer en voyage, ce sont les départs. Et j’en ai la confirmation encore une fois.
Deux lignes de métro plus tard, me voila à la gare centrale de Montréal, dans une grande file d’attente pour monter dans un train direction New York. Ici, c’est la discipline qui règne : on est tous à la queue-leu-leu (ça s’écrit comme ça ce mot débile ?), et un contrôleur vérifie nos billets au moment de passer dans le souterrain qui mène aux quais. Vachement plus intelligent que la SNCF, ce système !
Bref, notre tour vient, et on prend place dans un wagon tout bleu où, miracle, il y a enfin de la place pour mes jambes. Je crois qu’après ça, je ne pourrais plus jamais remonter dans le Corail Intercité Cherbourg-Paris.
Charles et Audrey s’installent devant moi, tandis que je me jette sur une des rares double-place avec pour seule ambition : piquer un roupillon.
De l’autre côté de l’allée, une grosse américaine lit un roman dont la couverture me laisse déjà deviner la fin : « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants« . J’enfonce de la musique dans mes oreilles, et je ferme les yeux quelques heures.
Je suis réveillé par une hôtesse anglophone qui passe dans les rangs distribuer des fiches à remplir pour l’immigration. Dans quelques kilomètres, je vais connaître une de mes plus grandes angoisses depuis que je voyage : la douane américaine.
J’y mets autant d’application que pour mon épreuve de maths au bac : je suis nul mais si j’écris mon nom correctement, ce n’est pas éliminatoire. Tout un tas de questions stupides plus tard, ma fiche est remplie. Du moins je l’espère. Reste plus qu’à faire valider ça par le shérif, et à moi les USA !
Quand le train s’arrête au poste de frontière et que les colosses américains montent dans le compartiment, l’atmosphère se tend immédiatement. Personne ne moufte, surtout pas les 3 français qui prient pour que leur ESTA aie correctement été enregistré et que leurs tronches ne déplaisent pas trop à ceux qui sont en ce moment précis les maîtres du monde : les douaniers.
Je suis le premier de nous trois à passer à la casserole. Le regard d’acier du géant américain me transperce et je me sens comme un petit garçon pris en faute (alors que j’ai rien fait, j’vous jure m’sieur !). Les questions pleuvent, j’essaie de répondre correctement. « Vous faites quoi dans la vie ? Motif de votre séjour aux USA ? Vous portez des slips ou des caleçons ? » Je suis tellement en nage que même Laure Manaudou aurait pu battre un record olympique sous mon t-shirt.
Et puis, soudain, la tuile. Arnold -c’est pas son nom mais on s’en fou- me demande où je vais rester lors de mon séjour à New York. « Euh, on loue une chambre avec Air Bnb« . « Où ?« . – « Euh, à New York je crois« . – « Quelle adresse ? » – « Euh, l’adresse est dans mon ordinateur, je la connais pas par coeur« . – « Trouvez là !« .
Coup de stress monumental : c’est enregistré dans la messagerie mail de Charles. Problème : on est paumé au milieu de nulle part et il n’y a pas de Wifi. Même pas de réseau téléphonique. Le colosse en remet une couche : « si vous ne pouvez pas me donner l’adresse de votre séjour, vous descendez du train immédiatement« . Je reste incrédule une demi-seconde, puis je comprends qu’il est très sérieux. Panique.
On s’interroge en français entre nous, et je sens que ça agace Arnold. Mettre une adresse bidon ? La peur nous paralyse et on n’a aucune idée des noms de rue de New York (c’est pas bien compliqué pourtant, mais quand t’as Robocop prêt à te dézinguer en face de toi, ton cerveau fonctionne relativement au ralenti).
« Prenez vos affaires et rendez-vous voiture 18« . Merde, qu’est ce qui nous arrive ? On est foutu ? On prend perpète ? La chaise électrique ? Notre monde s’arrête de tourner. Dans les compartiments que l’on traverse, on discute à toute vitesse : « QU’EST CE QU’ON FAIT ?!?! » J’actualise mon téléphone toutes les secondes pour appeler notre hôte du soir et lui demander son adresse.
Et là, miracle. UN RÉSEAU WIFI LES AMIS ! Le wagon-restaurant possède un réseau wifi ! Je n’ai jamais été aussi heureux de voir s’afficher « Connexion active » sur mon vieux téléphone ! Ni une ni deux, on saute sur l’occasion. Charles sort son Mac, ouvre sa messagerie, récupère l’adresse de notre hébergement, et on la recopie chacun sur notre petite feuille verte.
Le douanier qui nous attend dans le wagon d’immigration officielle est sympa et compréhensif. Ça ne l’empêche pas de nous faire passer un nouvel interrogatoire. Quelques sièges plus loin, j’aperçois un type qui tient un passeport yéménite entre ses mains. Je surprends des bribes de conversation avec l’officier américain, et ça n’a pas l’air rose pour lui non plus.
De notre côté, on respire à nouveau : le douanier vient de tamponner notre visa. Nous voila officiellement admis sur le sol américain !
Deux heures plus tard, le train reprend sa route. A vue de nez, personne n’a été forcé de rester à la frontière. On a eu chaud : ils n’ont pas l’air de plaisanter, les ricains !
Les paysages du Vermont défilent devant mes yeux à toute vitesse. J’aperçois le lac Champlain, puis Albany dont le nom ne m’est pas inconnu.
La nuit tombe, cela doit faire bien 10 heures qu’on est dans ce wagon. J’ai les muscles des fesses tout endoloris. J’ai envie de courir, de sauter partout. Je brise la monotonie du voyage en allant régulièrement lire mes messages dans le fameux wagon-cantine, celui qui a le wifi.
Puis le train ralentit. Les gens commencent à s’agiter. J’aperçois de la lumière percer à travers le noir des fenêtres. Pas de doute, on arrive.
« New York, ici New York, terminus. Tous les voyageurs descendent du train.«
J’attrape mon sac à dos. Les portes mettent une éternité à s’ouvrir. Je veux sortir. Avec Charles, on se répète l’itinéraire à suivre pour relier notre logement. On a tout noté dans nos téléphones, il suffit de suivre les indications.
Le train s’arrête, légère bousculade vers l’avant. Les portes s’ouvrent. Ça y est, on descend.
De la foule, encore de la foule. Le quai est bondé. On monte un espèce d’escalier vieillot. Une vieille dame galère avec sa valise alors je fais honneur à la réputation des français : je la lui porte.
Le hall est immense. Les gens se dirigent de tous les côtés. Par où faut aller, putain ? L’office de tourisme est fermé, tu m’étonnes il est plus de 21 heures. Pas de plan de la gare, rien. Après hésitation, on prend une galerie au hasard.
Ça monte et on sent un peu d’air frais nous arriver sur la figure. On est sur le bon chemin.
Un escalier. Un autre.
Un escalator.
Une porte vitrée.
Ça y est ! Je suis dehors. L’Empire State Building se dresse devant moi. Un taxi jaune passe en trombe. J’entends des klaxons au loin. Pas de doute, je suis arrivé, c’est Manhattan.
Je jette un oeil à mes compagnons de voyage. Ils ont la tête fatiguée et les yeux remplis d’étoiles. J’imagine que je suis comme eux, là.
Je respire un grand coup et je me décide : « Salut New-York, ça va ? »