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Mon atterrissage au Népal, où l’histoire de la plus grande baffe de ma vie :

Dès mes premiers pas sur le sol népalais, j’ai compris que j’allais vivre une aventure pas comme les autres. A la réception des bagages, dans le petit aéroport de Kathmandou, je m’aperçois que mon fidèle sac de sport n’a pas supporté les 15 heures de vol depuis Paris. Toute la partie supérieure du sac est arrachée, déchiquetée. Un rapide coup d’oeil au contenu me montre que mes chaussettes et ma crème solaire ont disparu : panique.

Je repère un petit homme moustachu et ventripotent qui se tient juste derrière moi. Un employé de l’aéroport, vu son uniforme. Je lui montre mon sac en lui demandant ce qu’il peut faire. Sa première réaction : peser mon bagage. Sur une grosse balance qui doit dater du siècle dernier, c’est à dire pour le Népal, l’équivalent de notre 17e siècle, à peu de chose près.

Son anglais est très approximatif, et son accent à couper au couteau. Notre dialogue se résume à mon index pointé sur les dégâts et mes épaules qui se haussent d’un air interrogatif.

Deux autres employés de l’aéroport arrivent vers moi. Ils portent la moustache et des chemises à manche courte. Des bureaucrates, visiblement. On repèse mon sac, on me demande mon billet d’avion et mon passeport. Les deux hommes disparaissent sans me prévenir, avec mon bagage et mes papiers.

Le temps passe. Un ami m’attend en dehors de l’aéroport et je n’ai aucun moyen de lui prévenir de mon retard. Finalement, les bureaucrates reviennent, mon bagage à la main. On me tend un petit bout de papier où je déchiffre péniblement le mot « Atishar ». Le plus grand des deux moustachus m’indiquent que je dois déposer mon sac à cet endroit.

Je récupère mes affaires, sors de l’aéroport et rejoins Nicolas, l’ami qui m’attendait depuis plus d’une heure maintenant.

L’aéroport était particulièrement sombre, et les grosses pierres y maintenaient une certaine fraîcheur. Dehors, le soleil cogne dur. Le choc est brutal. J’ai à peine posé le pied sur le sol népalais que trois hommes m’accostent en m’incitant à monter dans leur taxi. « Cheap, cheap, taxi, Thamel, go, go ! ». Habitué aux agressions du métro parisien, je les ignore et cherche des yeux Nicolas, quelques mètres plus loin.

Retrouvailles. Un visage connu après plus de 24 heures de trajet depuis Cherbourg, quand on arrive à l’autre bout de la planète, c’est un bol d’oxygène. On discute un peu et on se laisse alpaguer par les dizaines de rabatteurs qui promettent de nous emmener dans le centre de Kathmandou pour un prix défiant toute concurrence.

On finit par monter avec l’un d’eux, après forte négociation sur le prix de la course. Je laisse Nicolas faire : je n’ai jamais négocié de ma vie. Le principe même me surprend. Mais visiblement, ici c’est le jeu. On s’installe à l’arrière d’une petite voiture blanche, les bagages sur les genoux. Quand je parle de taxi, n’imaginez pas une belle Peugeot 407 avec sièges en cuir, hein. Les taxis népalais ont plutôt l’air de vieilles Citroën AX décrépies, sans ceintures de sécurité, aux sièges labourés par des années de transport de gros européens, conduits par des chauffeurs qui pourraient rivaliser avec Sébastien Loeb. Visiblement, le contrôle technique obligatoire pour les véhicules de plus de quatre ans n’est pas arrivé jusqu’en Asie.

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Mon premier voyage en taxi est une baffe. La plus grosse de ma vie à ce jour. Les images que je voyais à la télé dans Envoyé Spécial ou Faut Pas Rêver deviennent réalité. On traverse les faubourgs de Kathmandou, et un sentiment de malaise grandit en moi.

J’observe la vie de ces gens depuis la fenêtre de mon taxi payé une poignée de centimes. De la ferraille pour moi, une semaine de salaire pour cet ouvrier qui regarde passer notre véhicule. Il ne montera jamais dedans. Suis-je différent de lui ? Non, je suis juste un petit européen dont le seul fait d’armes est d’être né du bon côté de la planète.

Des chiens d’une maigreur à faire pâlir une top model russe courent après la voiture. Des enfants jouent pieds nus au milieu des détritus, devant des petites cabanes faites de tôles et de parpaings. Des femmes aux longs cheveux noirs se promènent dans leurs habits colorés. Certaines lèvent les yeux au son du moteur. Je me sens comme dans un documentaire à 360 degrès. Ca y est, me dis-je. J’y suis, à l’autre bout du monde. Ce que je voyais à la télé est réel. Ma vie ne sera plus jamais la même.

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Le taxi freine brutalement. On esquive une vache qui se tenait là, au milieu du chemin de terre qui tient lieu de route, et que personne ne semblait avoir remarqué.

La route est défoncée. On ne croise que très peu d’autres voitures, mais les obstacles sont nombreux. Chiens, vaches, enfants, racines d’arbres, nids de poule : on se croit dans un rallye. Notre chauffeur joue autant avec son klaxon que son volant. Il maîtrise, mais ça ne m’empêche pas de m’agripper à l’appuie-tête devant moi et de serrer les fesses dès que la voiture fait une embardée. On est brinquebalé dans tous les sens. Mon crâne heurte le plafond plus de fois que je n’ai pu le compter. Il faut dire que j’ai dû me recroqueviller pour faire rentrer mon mètre quatre-vingt dix dans un espace aussi exigu. Je regarde Nicolas. Il est à Kathmandou depuis 3 mois et ça ne le surprend plus. Moi aussi, bientôt, je prendrais l’habitude.

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Au fur et à mesure que les bidonvilles défilent devant mes yeux, je prends conscience du décalage entre eux et moi. Une pensée fugace traverse mon esprit et s’attarde un peu trop longtemps dans mon cerveau : j’ai le sentiment très désagréable d’être au zoo. Moi, mon bermuda en toile, mon polo de chez Kiabi et mes lunettes de soleil visitons les bidonvilles népalais depuis une voiture dans laquelle, pour la plupart, ils ne monteront jamais. Je traverse leur quotidien avec curiosité et stupeur, tout en sachant pertinemment que jamais je n’arriverai à comparer leurs problèmes aux miens. Chaque scène me choque, me surprend, m’étonne. Chaque détail me fait sourire, m’attendrit, m’effraie. J’enregistre des souvenirs pour dix ans.

Quand le taxi s’arrête devant notre hôtel, je prends conscience de la futilité de mes préoccupations d’européen. Mon sac déchiré, mes chaussettes perdues et ma crème solaire pourront attendre, j’ai un pays à visiter.